Lobbies du tabac, leaders politiques et mort des fumeurs

Lutter pour aider les fumeurs et combattre la maladie tabagique sont parfois quelque peu désespérants. Cela donne l’impression d’être en face du tonneau des Danaïdes. Malgré les efforts faits par les tabacologues et par tous les médecins et soignants pour sortir les fumeurs du tabac , chaque jour en effet 800 nouveaux adolescents deviennent fumeurs réguliers en France et remplacent les 220 fumeurs qui meurent chaque jour prématurément de la dépendance tabagique.

Cette entrée massive en tabagisme des adolescents n’est pas le fait du hasard. Ce n’est pas non plus le fait de l’intérêt propre du tabac lui-même dont les premières prises sont plutôt désagréables. Mais est le fait d’une stratégie organisée par l’industrie du tabac pour recruter les adolescents. En France jusqu’à la privatisation de la SEITA, dont la phase finale a été organisée par Nicolas Sarkozy alors qu’il était Ministre des finances, l’Etat considérait que la tabac était avant tout un outil de perception de taxes. Les effets sanitaires, moins parfaitement connus que maintenant, étaient rangés dans les « dégâts collatéraux » de cette perception de taxe pour l’Etat ! Les liens de la rue de Rivoli, ancien siège du Ministère des finances, puis de Bercy avec l’industrie du tabac sont restés forts et ont jusqu’ici trop résisté aux exigences des traités internationaux tel que la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac (CCLAT), ratifiée par la France il y a maintenant 12 ans. Ce traité l’engage en particulier par son article 5.3 qui traite des liens entre l’industrie du tabac et les autorités.

La dépendance tabagique est une maladie chronique pédiatrique récidivante dont le vecteur est la filière tabagique qui prolifère avec la bénédiction d’une partie du gouvernement français qui en parallèle du plan National de réduction du tabagisme (PNRT), conduit de façon schizophrène une politique de soutien à la filière tabac comme le montrent de trop nombreux exemples. Nous en donnerons quatre.

La cours des comptes en 2016 dénonce le « manque à gagner » de 170 millions d’euros du fait du Ministre du budget qui a fait supprimer pour fin 2014 l’indexation des taxes sur le tabac 2015 sur le prix moyen de l’année précédente. Il faut probablement y voir la patte du Premier Ministre qui voulait satisfaire les marchands de tabac, sans prendre en compte que la France est plutôt à cours d’argent !

Le troisième plan cancer, est sous la responsabilité du Président de la République, comme les précédents. Il demande de mettre en œuvre une concertation nationale en ces termes : “Les buralistes sont une composante importante du tissu économique et social en ville et à la campagne et doivent être impliqués dans cette concertation.». On s’éloigne vraiment de l’objectif d’un plan cancer et on ne comprend pas bien ce qu’une telle affirmation vient faire dans un plan cancer sauf à avoir l’idée farfelue de comprendre que pour lutter contre le cancer la Présidence de la République, harassée par l‘omniprésence des lobbies du tabac, mettait en balance les ravages de la maladie tabagique et la survie d’un commerce !

L’objectif N° 10 du plan de réduction du tabagisme (PNRT) se propose de « dissuader l’entrée dans le tabagisme pour éviter que celui-ci ne touche les enfants et ne s’installe chez les jeunes, et d’associer les buralistes à cette démarche ». L’interdiction de vendre aux mineurs existe depuis longtemps. Si cette phrase veut dire qu’il faut associer les buralistes pour discuter de l‘opportunité d’appliquer ou non la loi, c’est pour le moins surprenant. Les buralistes ne devraient pas rencontrer les mineurs à leurs comptoirs, ce sont des préposés de l’Etat régulièrement visités par les services des douanes, sous tutelle du Ministère des finances, qui ont tous les outils pour mettre des sanctions si cette interdiction de vente aux mineurs n’est pas appliquée.

L’axe 1 du PNRT précise qu’il faut « Inclure une sensibilisation aux enjeux de santé publique dans le plan de formation des buralistes (action 16 du plan gouvernemental 2013-2017 de lutte contre les drogues et les conduites addictives) ». Là encore on ne peut qu’applaudir au développement de la pédagogie, mais l’Etat et en particulier le Ministère des finances qui a la tutelle des buralistes a tous les outils pour faire appliquer la loi. Le PNRT prévoit la presentation d’un papier d’identité avec photo qui va permettre, espérons-le dans les mois qui viennent, aux buralistes de mettre en œuvre leur savoir-faire en santé publique. Le succès du PNRT prévoit des futures générations sans tabac, donc sans vente de tabac. Les « marchands de tabac » devraient utiliser les centaines de millions d’euros attribués par les plans successifs pour l’avenir des buralistes pour diversifier leur activité afin de continuer à exister avec d’autres fonctions et non de conduire une lutte d’arrière garde contre la régression progressive des ventes et de la consommation de tabac en France.

Espérons que les politiques, au plus haut niveau, auront à cœur d’assurer la régression du tabagisme inscrite dans le PNRT piloté par la Ministre de la santé en évitant l’initiation du tabagisme de 800 nouveaux jeunes par jour. Espérons qu’ils sauront piloter les taxes sur le tabac de façon à assurer une baisse de 10% par an de la consommation. Espérons que la France se dotera d’un véritable outil de pilotage du tabagisme afin de suivre la régression de l’épidémie. En attendant que les actions politiques se développent en France, comme elles se développent dans la plupart des pays Européens, tous les médecins et personnels de santé doivent se mobiliser afin d’aider les fumeurs à se libérer du tabagisme par les méthodes classiques, par la cigarette électronique, ou tout autre moyen. Tout ce qui éloigne du tabac est un progrès de santé publique. Soyons actifs, soyons inventifs et titillons les politiques afin qu’ils répondent à la demande de l’immense majorité des français, donc de leurs électeurs, qui souhaitent une organisation en douceur de la fin progressive du tabac, une substance de plus en plus ringarde, une drogue du passé.

Pr Bertrand DAUTZENBERG – Pneumologue – Hôpital Pitié-Salpêtrière