Qui peut perdre deux milliards ?

Voilà un quart de siècle que les pays, dont la France, célèbrent, sous l’égide de l’OMS la journée du 31 mai appelée encore la Journée Mondiale sans tabac. Grâce aux efforts déployés depuis plusieurs années, nous connaissons de mieux en mieux les actions du tabac sur l’organisme et les mécanismes physiopathologiques des maladies liées au tabagisme.

Au niveau mondial le tabac continue pourtant à faire des ravages. Le tabagisme tue toujours et encore un fumeur sur deux, multiplie par deux les cas de démence (vasculaire ou Alzheimer), est la cause de un cancer sur trois, etc, etc… Le tabagisme est malgré cela encore en augmentation dans plusieurs parties du monde (+ 2,4% en France), en particulier dans les pays en voie de développement où il ajoute encore à la charge de morbidité et de pauvreté.

Dans les pays à revenu élevé, jusqu’à 15 % du budget de la santé est consacré aux maladies liées au tabac. La consommation de tabac est inversement proportionnelle au niveau socio-économique : plus le niveau de vie baisse, plus la consommation de tabac augmente.

Une prévalence plus élevée du tabagisme démontre que ce sont les plus pauvres qui supportent la plus lourde charge, qu’il s’agisse de dépenses de santé ou de coût économique du tabagisme. Ceux que Coluche appelait « ces salauds de pauvres » sont ceux qui consomment le plus de tabac et cette consommation ne fait qu’aggraver leur pauvreté !

Pendant ce temps, les Etats s’en mettent plein les fouilles. En France, le tabac a rapporté 10,3 milliards d’euros en 2010 (source tabac-info-service). Le gouvernement n’applique pas correctement les dispositions susceptibles de réduire la consommation de tabac comme le souligne le Pr Y. MARTINET, président de l’Alliance contre le tabac. Gérard AUDUREAU, président de Droit des non-fumeurs illustre ce propos en soulignant l’absence totale de contrôles concernant le respect de l’interdiction de fumer. « Nous savons ce qu’il faut faire pour réduire la mortalité par cancer : une réduction sensible de la consommation de tabac » déclare Emmanuelle BEGUINOT, la directrice du CNCT.

Nous savons ce qu’il faut faire mais tant qu’il n’y a pas de volonté politique, nous ne pouvons rien faire. Or cette volonté politique vacille face aux 10 milliards que le tabac lui procure.

10 milliards, c’est énorme !!!

La France d’en bas s’extasie et rêve devant celui qui a gagné au jeu de « Voulez-vous gagner des millions ». Au sommet de la France d’en haut, sans jouer on gagne 10 milliards ! On se paye même le luxe de ne pas tout ramasser. La France perd en effet 2 milliards à cause des achats du tabac qu’elle laisse faire à l’étranger. Il faut que tout le monde vive ! Et les douaniers ne peuvent pas tout contrôler. L’Etat le leur permet alors qu’il est féroce avec les rentrées financières guidées par des radars consciencieux, scrupuleux et parfois même vicieux !

L’observatoire des drogues et des toxicomanies révèle officiellement qu’une cigarette sur 5 fumée en France est achetée à l’étranger.

Le Président de la Confédération des buralistes, Pascal Montredon estime « entre 18 et 20 % » les produits de tabac achetés hors du réseau officiel des buralistes. Ce président a été décoré de la légion d’honneur par le Ministre du Budget, ainsi que nous l’avons relaté dans un précédent éditorial et qu’en la circonstance de l’espèce nous avions appelé légion d’horreur. L’Etat et les buralistes sont en effet les deux grands bénéficiaires de l’industrie du tabac. Les deux s’entraident et le plus riche qui est aussi le plus puissant reste généreux. Tantôt Jean-François COPE et les buralistes concluent un accord qui vise à accorder une aide gouvernementale de 176 millions, tantôt une subvention de sécurité majorée à 4 000 euros est accordée à 4 000 buralistes, etc, etc… Mais toujours les promoteurs du tabac jonglent avec des milliards et les buralistes en profitent : tout cumulé ils ont ramassé 1,4 milliards d’euros depuis 2004.

Les buralistes ne sont jamais perdants. L’Etat qui est le grand gagnant ne peut pas tout contrôler et le flot de milliards qu’il reçoit lui permet d’être généreux envers son associé buraliste et aussi de ne pas être trop regardant vis-à-vis du coulage et de la contrebande.

C’est ainsi que l’on peut perdre deux milliards !

Pendant ce temps, l’horloge de l’OMS égrène les morts causées par le tabac : 50 millions à ce jour.

Toxicologue Docteur en Médecine, en Pharmacie, Ingénieur des Sciences Président de Tabac & Liberté, Toulouse, France